mercredi 4 janvier 2017

Pour l'abolition du bétail occidental en Amérique latine

Depuis des centaines d'années, le bétail introduit d'Europe par les Hispaniques a érodé les Andes. Environs de Chumpi (Ayacucho), au Pérou, vers 3000m d'altitude. Photo: Pierre-Olivier Combelles (2012)
Depuis des centaines d'années, le bétail introduit d'Europe par les Hispaniques a érodé les Andes. Environs de Chumpi (Ayacucho), au Pérou, vers 3000m d'altitude. Photo: Pierre-Olivier Combelles (2012)
Pendant des milliers d'années, jusqu'à l'arrivée des Hispaniques, les autochtones d'Amérique latine consommaient seulement, en dehors de la chasse et de la pêche, quelques espèces d'animaux qu'ils avaient domestiquées. En Amérique centrale: le chien sans poils et sans voix (venu d'Asie) et le dindon. En Amérique du sud: le chien sans poils et sans voix, le cochon d'Inde, le canard de Barbarie, le lama et l'alpaga . A part ces deux derniers, ces animaux étaient nourris à la maison avec les restes de la cuisine et les produits de l'agriculture familiale. La haute teneur en protéines et la faible proportion en graisse de leur viande en faisaient et en font toujours un aliment complémentaire idéal dans ces régions chaudes. Les lamas, qui servaient au transport, n'abîmaient pas le sol grâce aux coussinets de leurs pieds.
La conquête hispanique a introduit le bétail: bovins, moutons, chèvres, cochons, chevaux, ânes; tous animaux de grande taille et de grand appétit et aux pieds durs, qui ont rapidement érodé les sols et contribué au déboisement et à la destruction de la biodiversité par le surpâturage. La consommation de leur viande riche en graisse et des produits dérivés (lait, beurre, fromage) a eu un impact négatif sur la santé des gens. L'industrialisation de l'agriculture et de l'élevage à partir du XXe siècle et l'instauration d'un système économique fondé sur les importations et les exportations et sur l'extractivisme a accéléré le phénomène, illustré par le monstrueux développement urbain, la pollution et la destruction de la nature, particulièrement en Amazonie.
De d'autre côté de l'Atlantique, les supermarchés européens sont remplis de produits laitiers et carnés de nos élevages nourris à la farine de soja venue par bateau des immenses monocultures brésiliennes engendrées par la déforestation (regardez ci-dessous Alma, le magnifique film sans paroles de Patrick Rouxel).
La lutte contre le réchauffement climatique est secondaire. L'important c'est le changement global de la société et de l'économie, et le retour de la soumission de cette dernière au politique. Il faut diminuer la consommation et les besoins énergétiques. Protéger et restaurer les forêts naturelles et les écosystèmes marins. Diminuer la population humaine en laissant faire la sélection naturelle (Wu Wei), qui a toujours été la seule valable depuis la nuit des temps et sans laquelle nous ne serions pas là aujourd'hui.
Dans cette perspective, les savoirs traditionnels* sont de première importance. Plus encore que les innovations technologiques. L'avenir n'est plus aux Prométhéens, mais aux Epiméthéens, héritiers du passé qui est, comme disent les peuples riverains du Pacifique: ce qui est devant nous, visible, et relié à la longue chaîne de la tradition, contrairement au futur qui est invisible, derrière nous.
"Si l'on s'attache à la voie de l'antiquité pour diriger l'existence d'aujourd'hui, on peut connaître l'origine primordiale; cela s'appelle démêler le fil de la Voie."(Chapitre XIV). Tao Tö King, le livre de la voie et de la vertu.Texte chinois établi et traduit avec des notes critiques et une introduction par J. J.-L. DUYVENDAK (1889-1954).

Pierre-Olivier Combelles
Naturaliste, Président de l'Institut Andin d'Etudes Ethnobiologiques

* TEK: Traditional Ecological Knowledge, comme ont dit en Nouvelle-Zélande (Aotearoa) où le savoir traditionnel maori est devenu un élément incontournable en sciences de la nature et dans le domaine de la protection de l'environnement.
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Source de cet article


Chien sans poils et sans voix ("perro chino", au Pérou). Pachacamac, près de Lima (Pérou). Elevé aux temps préhispaniques pour sa viande, comme en Amérique centrale et en Asie, il est devenu aujourd'hui un animal de compagnie. Il semble qu'il soit encore discrètement consommé dans certaines région, près de Huancayo par exemple, dans les Andes centrales du Pérou. On nomme en quechua "alqo micuna" ceux qui mangent du chien. Photo: Pierre-Olivier Combelles (2012)




Un autre chien sans poils et sans voix (Pachacamac, près de Lima, au Pérou). Photo: Pierre-Olivier Combelles (2012)
Boucherie servant du chien rôti (Vietnam). Source: Le voyage de Lady Anne (blog de navigateurs autour du monde)


Elevage de cochons d'Inde près de Lima (Pérou). Il y en a dans chaque maison paysanne des Andes, en liberté dans la cuisine. Nommé "cuy" (pluriel "cuyes") en espagnol, son nom quechua est qowe, qui dérive certainement de kioe, le rat en maori. Le rat était consommé par les peuples du Pacifique qui colonisèrent l'Amérique du sud et donnèrent son nom, en les domestiquant, aux cochons d'Inde sauvages qui existent toujours là-bas. Photo: Pierre-Olivier Combelles (2012)


Lama dans le massif du Huagurunchu (Pasco), sur les hauteurs de la cordillère orientale des Andes du Pérou, vers 4300m d'altitude. Le lama sert pour le bât; l'alpaga (plus petit) pour la laine et pour la viande. Photo: Pierre-Olivier Combelles (2012)



ALMA, un film de Patrick Rouxel

Sérieusement, quel est le film le plus intéressant et le plus courageux: "Il était une forêt" de Luc Jacquet avec Francis Hallé, tourné avec un gros budget et même pas diffusé en Amérique latine par son distributeur Disney qui a réussi là son opération de greenwashing, ou bien Alma, au budget minimal, sans paroles, mais où tout est exprimé avec une profondeur d'émotion sans égale ? Patrick Rouxel est aussi l'auteur de Green, l'inoubliable court-métrage sans paroles, sur la déforestation en Indonésie:

https://youtu.be/8uVOYQPobzo

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